retour page guide

 LE CHEMIN DES ECOLIERS

 

Chanson 1 : Mourir pour des idées Page 2

Chanson 2 : La fille à cent sous Page 1

Chanson 3 : Don Juan Page 1

 

Mourir pour des idées

(1972)

Mourir pour des idées, l'idée est excellente

 

 

Moi j'ai failli mourir de ne l'avoir pas eue .

 

 

Car tous ceux qui l'avaient, multitude accablante,

 

 

En hurlant à la mort me sont tombés dessus .

 

 

Ils ont su me convaincre et ma muse insolente,

 

 

Abjurant ses erreurs, se rallie à leur foi

 

 

Avec un soupçon de réserve toutefois :

 

 

Mourons pour des idées d'accord, mais de mort lente,

 

 

D'accord, mais de mort lente .

 

idée dans deux sens :

1.       idées (toujours au pluriel) = ensemble d’opinions, doctrine (les idées monarchistes, républicaines, socialistes, conservatrices…)

2.       idée = élaboration de l’esprit (une bonne idée)

 

multitude = foule

accablant = écrasant physiquement ou moralement (ici, les deux)

Un chien hurle à la mort

 

 

Muse = figure allégorique de l’inspiration du poète

 

 

Abjurer = renoncer publiquement et solennellement à une croyance

 

Un soupçon = une très petite quantité (un soupçon de Champagne)

 

Jugeant qu'il n'y a pas péril en la demeure,

 

 

Allons vers l'autre monde en flânant en chemin

 

 

Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure

 

 

Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain .

 

 

Or, s'il est une chose amère, désolante,

 

 

En rendant l'âme à Dieu c'est bien de constater

 

 

Qu'on a fait fausse route, qu'on s'est trompé d'idée,

 

 

Mourons pour des idées ……

 

pas péril en la demeure = pas de danger immédiat (formule juridique passée dans la langue courante

aller vers l’autre monde = mourir

flâner en chemin  = traîner, prendre son temps dans une intention ludique

 

forcer l’allure = accélérer

 

 

avoir cours = être d’actualité, garder une valeur (le Franc n’a plus cours aujourd’hui)

 

amère = saveur généralement considérée comme désagréable. Fig. triste, douloureux

 

rendre l’âme (ou : son âme) à Dieu = mourir

  

 

faire fausse route = prendre une mauvaise route, se tromper de chemin

 

Les saint jean bouche d'or qui prêchent le martyre,

 

 

Le plus souvent, d'ailleurs, s'attardent ici-bas .

 

 

Mourir pour des idées, c'est le cas de le dire,

 

 

C'est leur raison de vivre, ils ne s'en privent pas .

 

 

Dans presque tous les camps on en voit qui supplantent

 

 

Bientôt Mathusalem dans la longévité .

 

 

J'en conclus qu'ils doivent se dire, en aparté :

 

 

"Mourons …

 

saint jean bouche d’or = beau parleur, prêcheur convaincant (de saint Jean – IV° siècle - surnommé Chrysostome = Bouche d’Or pour son éloquence)

ici-bas = sur la terre

  

 

c’est le cas (= la circonstance) de le dire : se réfère à l’expression suivante, raison de vivre (dont l’à-propos par l’opposition mourir/vivre est souligné)

  

 

 

Supplanter = prendre la place d’une personne que l’on a évincée

 

  

longévité = longueur de la vie

 

 

en aparté (ou bas à part) = indication théâtrale indiquant que le texte dit n’est pas supposé être entendu des autres personnages

 

 

Des idées réclamant le fameux sacrifice,

 

 

Les sectes de tout poil en offrent des séquelles,

 

 

Et la question se pose aux victimes novices

 

 

Mourir pour des idées, c'est bien beau mais lesquelles ?

 

 

Et comme toutes sont entre elles ressemblantes,

 

 

Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau,

 

 

Le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau .

 

 

Mourons …

 

 

 

de tout poil = de toutes sortes

séquelles = troubles qui persistent après un accident, la fin clinique d’une maladie ; ici au sens ancien de petits groupes d’hommes de main au service d’un Prince.

novice = religieuse à son entrée dans les ordres, par extension : personne commençant son initiation

 

c’est bien beau exprime à la fois l’admiration de la chose et le doute sur son utilité ou la suite à donner

 

 

avec leur gros drapeau : détournement de la locution venir avec ses gros sabots = avancer lourdement une idée très prévisible

 

 


tourner autour du tombeau : détournement de tourner autour du pot = s’approcher sans oser se décider

 

Encor s'il suffisait de quelques hécatombes

 

 

Pour qu'enfin tout changeât, 
qu'enfin tout s'arrangeât !

 

 

Depuis tant de "grands soirs" que tant de têtes tombent,

 

 

 

Au paradis sur terre on y serait déjà .

 

 

Mais l'âge d'or sans cesse est remis aux calendes,

 

 

 

Les dieux ont toujours soif, n'en ont jamais assez,

 

 

Et c'est la mort, la mort toujours recommencée ... 

 

Mourons...

 

Encor forme poétique tolérée pour encore

Hécatombe (Etym. Sacrifice rituel de 100 boeufs) = tuerie, massacre d’un grand nombre

 

 

 

 

Grand soir = mythe du socialisme naissant d’un « grand soir » de révolution qui verrait s’écrouler l’ancien système.

 

 

 

 

 

 


remis aux calendes
= repoussé à « jamais » (forme complète : aux calendes grecques. Les calendes étant le premier jour de chaque mois romain et le calendrier grec n’ayant pas de calendes, les Romains utilisaient déjà cette expression)

Les dieux ont soif est le titre d’un roman d’Anatole France dont l'action se situe pendant la Terreur, en 1793

 

la mort, la mort, toujours recommencée paraphrase de Paul Valery « la mer, la mer, toujours recommencée » (Le cimetière marin)

 

O vous, les boutefeux, ô vous les bons apôtres,

 

 

Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas .

 

 

Mais de grâce, morbleu ! laissez vivre les autres !

 

 

La vie est à peu près leur seul luxe ici bas ;

 

 

Car, enfin, la Camarde est assez vigilante,

 

 

Elle n'a pas besoin qu'on lui tienne la faux .

 

Plus de danse macabre autour des échafauds !

 

Mourons …

 

boutefeu de l’ancien verbe bouter (mettre).

Ancien instrument d’artillerie servant à mettre à feu un canon. Fig ; : celui qui allume des querelles, qui sème la discorde

céder le pas = laisser passer en premier.

Fig. : reconnaître une supériorité, laisser exercer une suprématie.

morbleu ! d’une série de jurons « classiques » (sacrebleu ! ventrebleu !) où dieu était remplacé par bleu pour éviter le blasphème

 

 

 

la Camarde figure allégorique de la mort sous la forme d'une femme-squelette au nez plat, camard, que Brassens utilise souvent

 


tenir la faux :
la faux est l’attribut habituel de la figure allégorique de la mort. Les locutions tenir la plume, tenir le pinceau indiquent une aide donnée à l’écrivain, au peintre… et trouvent ici une extension inattendue

 

Didier Agid