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 LE CHEMIN DES ECOLIERS

 

Chanson 1 : Mourir pour des idées Page 1

Chanson 2 : La fille à cent sous Page 1

Chanson 3 : Don Juan Page 2

 

Don Juan

(1976)

Introduction

 

Une des chansons qui, après lecture, ou écoute, superficielle, ont alimenté le vieux procès en misogynie que l’on fait régulièrement à Brassens. Comme souvent, Brassens nous crée un petit théâtre. Ici, dans l'ordre d'entrée en scène: l'automobiliste, Don Juan, le flic, le "premier venu", le curé, le soldat, la bonne soeur... et l’auteur lui-même.

Or:
- L'automobiliste n'est pas sympathique a priori, il est plutôt, en tant que dangereux écraseur, une menace.
- Don Juan, c'est l'affreux séducteur sans scrupules.
- Le flic, le curé, la bonne soeur et le soldat sont, dans l'univers Brassens des antipathiques de base.
- Le "premier venu" pourrait aussi être un des "brav' gens" de la « Mauvaise Réputation » (1952), autrement dit un con qui suit les autres.
- Quant à  soi-même, on sait bien qu'on a tous notre part de lâcheté (lui, par exemple, quand il n'ose pas, dans « La Tondue » (1964), défendre ouvertement la femme tondue à la Libération).

Bref, ces personnages appartiennent chacun à une catégorie capable du pire.Mais tous, par choix, vont basculer dans le bon camp, et c'est pour cela qu'ils méritent la "gloire", pour, chacun à sa manière, un acte de compassion, une main (ou autre chose...) tendue (chez Brassens, la compassion se manifeste par des actes, pas par des mots).
Morale de la fable: il n'y a pas de "bons" et de "méchants". Tout serait mieux, non pas si on tuait tous les "affreux", mais si chacun tendait la main, à  la manière de l'Auvergnat.

Et la misogynie dans tout ça? Bien sûr, c'est un vilain macho, Don Juan, tout repose là-dessus. Brassens partagerait notre antipathie, si l’affreux ne se rachetait par ce comportement inattendu. Reste juste cette injonction politiquement terriblement incorrecte, martelée au refrain : "il me la faut" qu'une bonne chrétienne devrait pardonner, d'autant plus qu'il faut bien que Don Juan parle comme Don Juan. Politiquement irréprochable, il aurait pu dire : "je souhaiterais m'entretenir avec cette Dame, et, dans le cas où quelque profonde affinité apparaîtrait, nous envisagerions alors, d’un commun accord, d'inclure la sexualité dans nos relations", ce qui, avouons-le n'aurait pas contribué à la crédibilité de l'histoire.

Il y a dans la succession de couplets (le quatrième et le cinquième précédés de « et »), une volonté d’effet d’accumulation. On passe de la protection des animaux au refus de l’injustice, du crime de guerre (individuel ou génocide) sans oublier le clin d’œil à la gaillardise (la bonne sœur qui réchauffe le pénis du manchot), car Brassens n’aime pas rester trop sérieux sur les sujets graves. Il nous fait aussi cadeau d’une trouvaille comique dont il a le secret : « Ce cul déshérité ne sachant que s’asseoir ». Et on aboutit à une petite profession de foi : se borner à ne pas trop emmerder son voisin ; non sans dénoncer l’«horreur » (entendez : le crime contre la vie) : qu’une femme puisse mourir vierge.

 

Didier Agid