LE CHEMIN DES ECOLIERS

 

Chanson 1 : Mourir pour des idées Page 2

Chanson 2 : La fille à cent sous Page 1

Chanson 3 : Don Juan Page 1

 

Mourir pour des idées

(1972)

Introduction

L’actualité de Brassens, s’il fallait une chanson pour l’illustrer ce serait celle-ci. La polémique dure encore, et tant qu’il y aura des prêcheurs pour envoyer les hommes en troupeau derrière un drapeau pour de nouvelles hécatombes, cette chanson leur déplaira. Chanson forte, « cri de rage », comme l’auteur l’a confié un jour à Maxime Le Forestier.

Un rythme voulu de marche funèbre pour cette descente en six couplets aux enfers des massacres organisés, teintée d’humour noir. L’alexandrin le plus classique va accentuer le ton doctrinal. Comme souvent chez Brassens le fabuliste, la morale est dans les derniers vers. Ici, il sont répétés comme pour un Requiem. D’accord, mourons pour des idées, si c’est la volonté du plus fort, mais demandons quelques instants de grâce, utilisons un artifice pour repousser la fatale échéance, gagnons un peu de vie. Un « encore un instant, Monsieur le bourreau !», attitude que l’auteur préfère devant la mort, et depuis longtemps :

« S’il faut aller au cimetière
Je prendrai le chemin le plus long
Je ferai la tombe buissonnière
Je quitterai la vie à reculons » (« Le testament », 1955)

« De mort lente » a l’humour de cette vieille blague : sur une affiche « L’alcool tue lentement », un ivrogne a ajouté « tant mieux, on n’est pas pressés ! ». mais la « mort lente », qu’est-ce donc d’autre que la vie ?

D’abord donc, premier couplet, cédons au plus fort ; mais exprimons la fameuse restriction.
Pourquoi? Justification en 5 points, 5 couplets :

  1. Les idées ne sont pas éternelles.
  2. Les apôtres de sacrifice ne meurent pas les premiers.
  3. Des idées, soit, mais lesquelles ?
  4. Malgré tous les massacres, le paradis est encore loin.
  5. Nous sommes mortels, alors pourquoi (faire) mourir « pour » ?

Il ne s’agit pas ici de l’idée bien à soi, la petite étincelle qu’on a fait jaillir tout seul, ni de l’Idée noble et généreuse… mais bien « des idées », au pluriel, ces bouquets vénéneux que les idéologues assemblent pour envoyer les innocents au massacre, et c’est la messe de la mort des idéologies que nous chante Brassens.

La conséquence, Brassens la tirera dans un de ses derniers textes, publié en 1982, « Le vieux Normand », réponse à « un jouvenceau [qui lui] demande la marche à suivre » :

« Crosse en l’air ou bien fleur au fusil
C’est à toi d’en décider, choisis ! ».

 

 

Didier Agid